Le projet eRod revient chez nous
Je venais de confier l'ensemble du projet eRod à la Haute école spécialisée bernoise, plus précisément à Sebastian Tobler. Mais peu après le départ, il a été victime d'un grave accident et il est devenu paraplégique. Dès que possible, je lui ai rendu visite à Nottwil. Sebastian m'a accueilli, mais il avait un emploi du temps très strict à respecter. Son temps était limité. Il m'a raconté en détail le déroulement de son accident. Il a tout de suite réalisé qu'il était paralysé. Puis de son transport en hélicoptère à Nottwil, comment ses douleurs insupportables l'avaient privé de sommeil et, dès la première seconde, son combat pour revenir à la vie. Sebastian était resté le guérier féroce qu'il était. Sa première phrase à mon égard fut qu'il voulait réapprendre à marcher seul, peu importe ce qu'il devait investir pour cela. Je l'admirais. Pas de tergiversations, pas d'hésitations. Il a tout donné pour récupérer sa famille, son travail et sa vie. Seulement, cela prendrait au moins un an. Nous en sommes venus à parler du projet eRod. Sebastian avait déjà pris contact avec son prédécesseur, Hansruedi Feldmann, qui a immédiatement accepté de sortir de sa retraite bien méritée pour retourner travailler auprès des étudiants. Je lui ai assuré un soutien maximal et les semestres et les travaux de diplôme prévus ont pu être menés à bien. Lors d'une des visites, je devais expliquer aux étudiants ce à quoi j'avais pensé pour la cinématique du véhicule et pourquoi je voulais que le châssis soit construit de cette manière. Je leur ai expliqué que la répartition du poids de 50 % à l'avant et 50 % à l'arrière était un bon point de départ et qu'elle était facile à respecter sur l'eRod, tandis que les doubles bras transversaux classiques offraient un maximum de possibilités de réglage. Ils m'ont alors demandé ce que j'avais appris. Ingénieur en électricité ! Aha - une explication claire pour les étudiants impertinents et ils m'ont assuré qu'ils construiraient un châssis moderne.
À la fin de tout ce travail, nous avions une maquette à l'échelle 1:1, mais cette fois-ci non roulante, ainsi que tous les calculs et les dessins.
Alors, est-ce que cela allait fonctionner ? Et comment continuer ? Sébastien n'était plus intéressé par le projet, ce qui est compréhensible. Il devait d'abord se rétablir au mieux. En fait, il aurait été le maillon essentiel pour l’ouvrage du projet. Pour savoir si cela fonctionne vraiment, il faudra attendre qu'il roule.
L'un des étudiants, Daniel Wenger, était aussi curieux que moi. Nous avons convenu qu'il quitterait la Suisse romande pour s'installer dans l'Unterland zurichois et que je l'engagerais dans mon entreprise afin de vérifier la faisabilité du projet. Nous avons convenu d'un cahier des charges et d'une période d'environ trois semaines pour ensuite voir ce qu'il en était.
Dani s'est mis au travail, a poursuivi le développement et il est arrivé à la conclusion que le véhicule pouvait être construit de manière à pouvoir être conduit et immatriculé. Nous voulions l'exposer au prochain salon de l'automobile de Genève. Pour peaufiner le design, nous avions besoin d'un partenaire : Scala Design. Son fondateur, Peter Theiss, avait à l'époque cofondée AMG avec Hans Werner Aufrecht et Erhard Melcher. Il avait toujours l'une ou l'autre anecdote à raconter de cette époque. Scala Design a mis la main à la pâte et a doté notre châssis d'un joli carénage dans l'esprit d'une Fiat Barchetta. Mais ce n'était pas du tout la direction que je voulais donner à l'eRod. Je voulais un châssis tubulaire nu et mobile. Une deuxième tentative a également échoué. Le temps qui restait avant le salon de l'auto était de plus en plus court. Un étudiant qui effectuait un stage chez lui a compris mon souhait et la direction du projet lui a été confiée sans hésiter. Le temps manquait et je ne pouvais plus réceptionner le projet à Stuttgart. À la place, les données des pièces individuelles ont été envoyées à notre fournisseur d'emboutissage profond, qui a commencé à fraiser les moules. Les pièces nous ont été livrées et toute notre équipe de développement s'est mise au travail pour les adapter au châssis vide. La découpe a encore été modifiée afin de ne laisser qu'un minimum de coffrage.
Le jour de la finalisation, il pleuvait. J'ai tout de même voulu faire le premier essai. J'ai été enthousiasmé par les sensations de conduite. L'accélération et le contact avec la route étaient fantastiques. Ce n'est que lorsque j'ai pris des virages que l'eau soulevée par le sol m'a éclaboussé directement le visage. Ma foi, il fallait s'y habituer ! Je suis revenu de l'essai, ravi et mouillé jusqu’aux os. Tout ce travail avait payé, quel plaisir.
Au salon de l'auto, nous avons eu beaucoup de commentaires positifs. Notre véhicule a été bien accueilli. Dani et moi nous nous sommes mis d'accord sur le fait que nous voulions le développer davantage et passer au moins l'homologation européenne. Le travail s'est poursuivi. Le design a également été retravaillé. Cette fois, Christian Benz de l'entreprise Formscope s'est chargé du projet. Le siège de son entreprise se trouvait à Winterthour et, pour un projet aussi complexe, il est bon que l'échange au sein de l'équipe puisse se faire rapidement et facilement. Deux ans devaient encore s'écouler avant que tous les objectifs soient remplis et que l'homologation européenne, notamment, soit achevée avec succès. Le séjour de 3 semaines de Dani Wenger s'est transformé en 3 ans, puis finalement, il est retourné en Suisse romande. Il voulait poursuivre ses études de master en génie mécanique. Notre eRod était prêt et la production pouvait commencer. À ce jour, nous avons construit 100 véhicules et les avons vendus dans le monde entier. J’apprécie spécialement le fait que le propriétaire puisse assembler lui-même son véhicule et le personnalise avec des accessoires selon ses goûts.
Aujourd'hui, de nombreux véhicules individuels circulent, dont les propriétaires savent encore exactement quelle pièce sert à quoi et combien de travail et d’effort sont nécessaires à la construction d'une voiture. Je suis aujourd'hui l'heureux propriétaire de l'eRod 001, que mon équipe a assemblée juste avant le Salon de l'auto de Genève. L'eRod est pour moi la machine de conduite ultime, parfaite jusque dans les derniers détails. Chaque fois que je suis un peu préoccupé, songeur et que trop de pensées tournent dans mon cerveau, je monte dans mon eRod et je fais un tour autour de l'Irchel. Il suffit de quelques mètres pour faire naître un large sourire sur mon visage et me rendre de bonne humeur. Il n'y a rien de plus beau que de s'élancer dans la nature avec un véhicule électrique minimaliste.
J’en ai tiré la leçon :
- Après chaque coup du sort, la vie continue.
- Les bonnes choses demandent du temps.
- Il n'y a rien de plus beau que de célébrer le succès à la fin d'un long projet.
- Rouler en eRod rend heureux.