Développement de l’eRod
Mon tout premier véhicule a été une trottinette bordeaux que mes parents m'avaient offerte. L'engin était vieux et présentait de nombreuses traces d'usure, mais je l'aimais quand même et je passais des heures à rouler dans notre quartier. Les voisins avaient aussi des trottinettes et c'est ainsi que nous avons créé notre gang de trottinettes. Bien sûr, il s'agissait de rendre les trottinettes plus rapides. Lubrifier les roulements à billes était la première étape. Ensuite, j'ai commencé à démonter toutes les pièces superflues. Porte-bagages - inutile, sonnette - superflue. Garde-boue - surestimé, il cachait la vue directe sur les roues qui tournent. Frein avant - n'avait jamais fonctionné de toute façon. Frein arrière : interdiction de mes parents de rouler sans, j'ai dû le remonter immédiatement.
Bien des années plus tard, un collaborateur m'a montré avec fierté la voiture qu'il venait d'acquérir : une Audi A8, non : pour être précis, une Audi S8. Il s'agit d’une version plus pointue, avec un moteur essence 8 cylindres de 250 kW, des freins en céramique, un châssis surbaissé, un équipement en cuir des plus raffinés, oui : il y avait même un seau à champagne et des stores pour la vitre arrière. Lorsqu'il m'a annoncé son prix d'achat, j'ai dû m'asseoir : Il avait pu acquérir ce véhicule, qui coûtait encore plus de CHF 250'000 il y a quelques années, pour à peine CHF 6'000. Pour moi, c'était le symbôle de la société de consommation. Plusieurs centaines d'ingénieurs avaient mis tout leur savoir-faire dans un produit qui a été vendu à un prix très élevé et qui, après quelques années, se négociait simplement pour quelques milliers de francs. Mon collaborateur savait exactement ce qu'il avait acquis. Mais toute cette merveilleuse technique avait manifestement été négociée bien en dessous de sa valeur. Ou alors pas du tout ?
Je considère qu'un moteur à essence est désormais dépassé. La consommation dépassait largement les 12 l aux 100 km et les frais d'entretien étaient énormes. Ce n'était pas possible ? Une idée a mûri en moi : "Reduce to the max" - mais avec une technique moderne, s'il vous plaît. Que faut-il pour cela ? Je me suis souvenu de ma trottinette et j'ai commencé à laisser tomber tout ce qui n'était pas nécessaire. Que restait-il ? Un cadre tubulaire comme élément central. Une suspension, des freins, un moteur moderne, un chargeur et de bons sièges. C'est tout ce dont on a besoin. C'était exactement le cahier des charges que j'avais rédigé. eRod était le nom du nouveau projet. Une combinaison de "électrique" et de "HotRod", en référence aux voitures des années 30 que l'on construisait soi-même.
J'ai fait part de mon idée à un collaborateur qui s'est montré enthousiaste et a immédiatement commencé à travailler sur le véhicule pendant son temps libre. Tout d'abord, nous avions besoin d'un plan de construction sommaire, puis d'une "caisse sur roues". La caisse sur roues sert à estimer les dimensions, à vérifier l'ergonomie et le montage de tous les composants. Le cadre a été réalisé les week-ends suivants. Je voulais que la caisse sur roues soit tout de suite roulante, nous avons donc doté le châssis d'une direction provenant de notre PLUS et de l'entraînement du DXP, que nous avons réglé sur la puissance maximale possible. Des freins ont également été installés, mais uniquement sur l'essieu avant. Oui, cela devait suffire.
Nous avons roulé avec cette ‘’caisse sur roues’’
Ensuite, le collaborateur s'est désintéressé du projet. Il est resté dans l'entrepôt et a bloqué notre précieux espace. C'est alors que j'ai fait la connaissance d'un jeune enseignant de la Haute école spécialisée bernoise. Jeune, sauvage, pragmatique, polarisant, provocant - nous nous sommes tout de suite parfaitement entendus. Il y avait des étudiants qui l'appréciaient beaucoup, lui et son attitude provocante. Mais il y en avait aussi d'autres qui aimaient un peu moins assister à ses cours de construction, et il y avait une raison à cela : lorsqu'un étudiant avait trouvé une solution pour résoudre un problème, il demandait une deuxième solution. Si l'étudiant avait réussi à élaborer une 2ème solution, il en demandait 6 autres (!) et une comparaison entre celles-ci. Ce professeur, Sebastian Tobler, m'a rendu visite et m'a parlé du passé glorieux de la Haute école spécialisée bernoise. Il y avait eu des véhicules pour des essais de pneus, des projets innovants en matière de sécurité active et passive, le "Spirit of Bienne", avec lequel une équipe avait fait la course à travers l'Australie et gagné, et maintenant en tant que jeune enseignant et voulait faire bouger les choses. Malheureusement, il n'avait pas de budget pour cela... Je l'ai conduit jusqu'à la caisse sur roues de l'eRod, et je lui ai demandé s’il voulait se charger de ce projet. Je lui donnerais tous les dessins existants, la caisse sur roues et je lui fournirais le matériel nécessaire à la construction d'un prototype. Il pourrait en faire un "projet de la Haute école spécialisée bernoise" avec ses étudiants. Mais j’attendais en retour véhicule homologué pour aller chercher ses clients à la gare de Bienne, par tous les temps. Sebastian rayonnait ! C'était exactement un projet à son goût.
Il a immédiatement commencé à mettre au concours des travaux de semestre pour ses étudiants et ce projet devait également être au centre de la semaine du design chez un designer renommé. Je me suis séparé très facilement de l'eRod. Je savais qu'il était entre de bonnes mains. Peu de temps après, le modèle fonctionnel a été transporté à Vauffelin, au DTC. Là, il n'a pas résisté au regard critique du directeur Bernhard Gerster. Il a interdit aux étudiants de rouler avec. Le système de freinage que nous avions installé lui paraissait bien trop aventureux. Il a donc été démonté et les étudiants ont mesuré le véhicule et réalisé de nouveaux dessins actualisés. Le projet eRod avait donc pris son envol. Mais c'est à ce moment précis qu'une mauvaise nouvelle m'est parvenue : le chargé de cours Sebastian Tobler avait été victime d'un grave accident. Un saut qu'il avait tenté avec son vélo avait échoué et il était devenu paraplégique. Il avait été immédiatement transporté à Nottwil pour y suivre une rééducation. Et maintenant ? Les étudiants étaient là, les projets étaient lancés. Mais qui allaient les encadrer ?
J'en ai tiré la leçon :
- Chaque haut est suivi d'un bas.
- Le plus beau des plans n'est plus valable si le responsable du projet fait défaut.
- D'une manière ou d'une autre, les choses avancent, toujours.